Tempête Poly

Les tempêtes en Europe de l'Ouest se produisent généralement entre octobre et mars. Le courant-jet à la tropopause, impliqué dans le développement des dépressions dites baroclines car puisant leur énergie à partir du gradient de température entre les tropiques et les régions polaires, est souvent moins fort en été et circule en moyenne plus au nord qu'en hiver. Les cyclogenèses intenses sont par conséquent inhabituelles en saison estivale à nos latitudes. La tempête Poly ayant touché les Pays-Bas et le nord-ouest de l'Allemagne le 5 juillet 2023, causant de nombreux dégâts, représente ainsi un cas tout à fait inhabituel.

Figure 1 - La tempête Poly vue depuis l'espace (source Eumetsat).
 
Le 4 juillet 2023 au matin, des indices précurseurs d'une cyclogenèse apparaissent à l'est du bassin Atlantique nord sur l'image vapeur d'eau (figure 2). Deux éléments importants sont identifiables dans le rectangle jaune. En haut à gauche tout d'abord, à l'ouest de l'Irlande, la région la plus sombre (en noir) coïncide avec une zone de basse tropopause : l'air originaire de la stratosphère, sec et riche en vorticité potentielle, s'enfonce dans la troposphère. La ligne sombre et courbée sur l'Atlantique contraste avec les zones blanches autour ; le gradient d'humidité s'accompagne en particulier d'un gradient de vent marqué lié à la circulation du courant-jet. L'anomalie de tropopause dynamique, qui correspond aussi à une anomalie de tourbillon cyclonique en altitude, est associée à un rapide du courant-jet ou jet-streak, c'est à dire un maximum de vent au sein du courant-jet.

Figure 2 - Image WV6.2 µm du 04/07/2023 à 06 h UTC (source Eumetsat).

Un autre élément repérable est ce qu'on appelle une "feuille barocline". Il s'agit de la région riche en humidité qui ressort en blanc, entre le tourbillon cyclonique d'altitude (en noir) et le nord-ouest de la France. Une telle structure n'est pas rare, elle précède typiquement le processus de cyclogenèse, lorsque la zone barocline commence à onduler. La formation de nuages épais indique que l'atmosphère dans cette région est le siège de mouvements ascendants.

L'analyse du contexte météorologique au stade initial du développement de la perturbation le 4 juillet à 12 h UTC (figure 3, cliquer sur l'image pour l'agrandir) montre un fort gradient d'épaisseur entre l'Afrique du Nord où l'air est très chaud et l'Ecosse où l'air est bien plus froid. La baroclinicité atmosphérique est marquée : il s'agit du premier ingrédient pour le développement d'une tempête.
 
L'ondulation du champ de géopotentiel en altitude au sud de l'Irlande est la signature d'un thalweg d'échelle sous-synoptique associé à un maximum de tourbillon. La baroclinie implique un fort cisaillement vertical de vent et la circulation d'un courant-jet vers 300 hPa, au voisinage de la tropopause. La figure 3 en haut à droite fait apparaître clairement le rapide de jet (module du vent > 100 kt) lié à l'anomalie d'altitude. En aval du thalweg et en sortie gauche du jet-streak, la divergence du vent (+) représente un forçage pour des mouvements ascendants. En amont, la convergence du vent (-) est le signe de mouvements descendants.

Figure 3 - Situation synoptique le 04/07/2023 à 12 h UTC. En haut à gauche : géopotentiel à 500 hPa, pression mer et épaisseur [500, 1000] hPa (couleurs). En haut à droite : géopotentiel à 300 hPa, vent supérieur à 60 kts (couleurs) et divergence du vent. En bas à gauche : géopotentiel à 850 hPa et advection de température (couleurs). En bas à droite : géopotentiel à 300 hPa et advection de vorticité absolue (couleurs). Source wetter3.

Les advections de température à 850 hPa associées à la circulation cyclonique restent modérées dans un premier temps. L'advection de vorticité cyclonique en altitude renforce les ascendances dans les niveaux inférieurs, et permet le déplacement zonal du thalweg.

A 00 h UTC le 05 juillet, la perturbation a progressé vers l'est et une dépression se creuse en surface, immédiatement en aval du thalweg à 500 hPa (figures 4 et 5). Les advections thermiques se sont renforcées : advection chaude à l'avant de la perturbation, advection froide à l'arrière (figure 4 en bas à gauche). La nette augmentation de la divergence du vent en haute troposphère (signe "+" sur la figure 4 en haut à droite) est un marqueur de l'amplification de la perturbation, les fortes ascendances renforçant le tourbillon cyclonique par étirement.

Figure 4 - Situation synoptique le 05/07/2023 à 00 h UTC. En haut à gauche : géopotentiel à 500 hPa, pression mer et épaisseur [500, 1000] hPa (couleurs). En haut à droite : géopotentiel à 300 hPa, vent supérieur à 60 kts (couleurs) et divergence du vent. En bas à gauche : géopotentiel à 850 hPa et advection de température (couleurs). En bas à droite : géopotentiel à 300 hPa et advection de vorticité absolue (couleurs). Source wetter3.
 

Le creusement est explosif, la pression au niveau moyen de la mer s'abaisse à moins de 990 hPa en quelques heures. La dépression étant de dimension relativement petite (de l'ordre de quelques centaines de kilomètres), elle est mieux visible en zoomant sur la zone d'intérêt (figure 5). L'accroissement du gradient horizontal de pression induit un net renforcement du vent, notamment dans la partie sud de la dépression, d'abord au nord de la France puis à l'ouest des Pays-Bas lorsque la tempête parvient à maturité. La cyclogenèse s'accompagne d'une ondulation notable du champ d'épaisseur, d'un système frontal bien développé à l'origine de précipitations parfois soutenues, notamment au passage du front froid. En journée, la tempête Poly se dirige vers le nord de l'Allemagne et le Danemark en faiblissant peu à peu.

Figure 5 - Evolution du géopotentiel à 500 hPa, de la pression réduite au niveau moyen de la mer et de l'épaisseur [500, 1000] hPa entre le 04/07/2023 à 18 h UTC et le 05/07/2023 à 12 h UTC par intervalles de 6 heures. Source wetter3.

La figure suivante montre la tempête Poly à 06 h UTC le 5, vue par satellite dans le canal infrarouge. La position du minimum dépressionnaire est indiquée par la lettre "L" en rouge. Les nuages s'enroulent dans un mouvement cyclonique. Les vents les plus forts se produisent vers l'extrémité de l'enroulement nuageux, sur l'ouest des Pays-Bas. Des rafales de vent jusqu'à plus de 30-40 m/s étaient simulées selon un couloir étroit à méso-échelle par les modèles régionaux AROME et ICON-D2. Une pointe à 148 km/h (41 m/s) a été mesurée à Ijmuiden.

Figure 6 - Image IR du 05/07/2023 à 06 h UTC (source Eumetsat).

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