Descente d'air froid et neige en avril

Paysage enneigé début avril 2022
 

La transition vers le mois d'avril a été marquée par une coulée d'air froid polaire apportant neige en plaine, giboulées et gel. Tandis qu'une dorsale anticyclonique s'étirait le premier avril entre les Açores et l'Islande, un profond thalweg s'enfonçait alors jusqu'en Afrique du Nord. Cette situation a conduit l'air froid d'origine arctique à descendre dans un écoulement de secteur nord pour venir s'engouffrer sur l'Europe occidentale et en particulier sur la France à l'arrière d'un front froid. D'où les faibles épaisseurs (en bleu) sur la carte suivante.

Situation synoptique le 01/04/2022
à 06 h UTC (source Wetter3)

Pour rappel, une descente d'air froid s'était aussi produite début avril 2021.

L'hiver boréal terminé, l'atmosphère de l'hémisphère nord se réchauffe petit à petit, l'écart de température entre la zone tropicale et les régions polaires diminue. Le vortex polaire stratosphérique - vaste tourbillon d'air froid cyclonique au-dessus du pôle entre 15 et 40 km d'altitude environ - s'affaiblit.

En hiver comme au début du printemps, il peut se produire ce qu'on appelle des réchauffements stratosphériques soudains désorganisant le vortex polaire et conduisant à un brusque ralentissement de la circulation d'ouest. Or un vortex polaire faible tend à favoriser un courant-jet plus ondulant et des échanges méridiens prononcés (transport d'air froid en direction des basses latitudes, transport d'air chaud subtropical vers le pôle). Il est important de noter qu'un réchauffement stratosphérique soudain n'a toutefois pas nécessairement de conséquences en Europe de l'Ouest.

Le vent zonal moyen dans la stratosphère à 10 hPa et 65 degrés de latitude nord est représenté ci-dessous. L'observation est en bleu, la prévision est en rouge. On voit très bien une première chute du module du vent zonal moyen entre février et mars. Après une remontée temporaire, une seconde diminution soudaine est observée et le vent moyen à partir de mi-mars change même de direction !

Source : Hannah E. Attard

En bref, après un hiver caractérisé par un vortex polaire anormalement fort (les vents d'ouest de décembre à février étaient plus puissants que la moyenne climatique), le vortex polaire s'est naturellement désagrégé le printemps venu. 

L'amplification d'une onde de Rossby a conduit à une accentuation des transferts méridiens sur le domaine euro-atlantique, l'air chaud subtropical remontant vers le pôle au-dessus de l'Atlantique et l'air froid arctique se déplaçant vers le sud en Europe.

Les modèles de prévision numérique avaient anticipé une possible coulée froide plusieurs jours à l'avance, bien que l'incertitude était forcément de mise à moyenne échéance. Les prévisions du modèle américain GFS et du modèle européen IFS ont montré des divergences.

Voici les prévisions de l'ECMWF pour Paris, sorties le 23/03 et le 30/03. Une semaine avant l'événement, le modèle déterministe IFS y envisageait déjà une baisse de température fin mars (courbe rouge, trait pointillé épais). La prévision d'ensemble doit toujours être considérée à moyen terme pour évaluer l'incertitude qui pèse sur le scénario déterministe, en raison du comportement chaotique de l'atmosphère. De nombreux membres de l'ensemble allaient également dans le sens d'une diminution de température, tout comme le scénario de contrôle (courbe rouge, trait plein), précédée par une tendance à la baisse du géopotentiel à 500 hPa. La dispersion augmente cependant significativement à J+7. Parallèlement, on note l'apparition de signaux de précipitations.

Météogramme pour Paris (Ile-de-France), prévision du 23/03/2022 (à gauche) et du 30/03/2022 (à droite). Source ECMWF.

L'advection froide est confirmée à plus courte échéance, la température étant alors prévue de s'abaisser autour de -8 °C début avril en Ile-de-France. Remarquez la chute du géopotentiel à 500 hPa prévue le 31 mars, conjointement à la chute de température. Le géopotentiel remonte ensuite.

La comparaison du sondage de Trappes le 31/03 à 00 h UTC avec celui du 01/04 à 00 h UTC met en évidence le changement de masse d'air : l'augmentation de la surface coloriée en bleu entre la surface et environ 400 hPa traduit un décalage de la courbe d'état vers la gauche, c'est à dire un net refroidissement. En 24 heures, la température passe de 0 °C à -8 °C vers 850 hPa, et de -26 °C à -36 °C à 500 hPa, atteignant ainsi des valeurs basses pour cette période de l'année !

Sondages à Trappes de 00 h UTC le 31/03/2022 (à gauche) et de 00 h UTC le 01/04/2022 (à droite). Source Centre Météo UQAM, données Météo-France.

La température de surface s'est approchée de 0 °C dans la nuit du jeudi 31/03 au vendredi 01/04. La dépression a apporté le premier avril des précipitations neigeuses en Belgique, sur les Hauts-de-France, la Normandie et en région parisienne, mais aussi sur le Massif central et les Pyrénées, en Franche-Comté et sur la région Rhône-Alpes, comme le montre la figure ci-dessous, obtenue en combinant les données radars avec les  températures prévues par le modèle AROME de Météo-France. On a mesuré temporairement quelques centimètres de neige en plaine, localement plus de 10 cm sur l'extrême nord de la France !

Précipitations liquides (en vert) et neigeuses (en rouge) à 8 h le 01/04/2022 (à gauche) et à 17 h le 02/04/2022 (à droite). Source Météociel, données Météo-France.

Le lendemain, samedi 02/04, des chutes de neige ont à nouveau touché une partie du territoire, dont le Massif central et les régions de l'est, tout en s'atténuant le weekend. La neige a tenu par endroit en plaine et en vallée. Mais si au mieux un simple saupoudrage ou une fine couche de neige temporaire ont généralement pu être observés au-dessous de 500 m d'altitude, la couche de neige fraîche a atteint une épaisseur supérieure à dix ou vingt centimètres dès la moyenne montagne.

Dimanche matin en Lorraine, les traces de neige en plaine avaient disparu. Je me suis rendu dans le massif vosgien pour profiter de la probable dernière randonnée en raquettes avant l'hiver suivant. L'ambiance était vraiment hivernale, digne de janvier.

En montagne, le ciel est resté encombré jusqu'au coucher du Soleil, la température est restée négative et des flocons virevoltaient tout au long de la journée. Entre le Hohneck et le Petit-Hohneck, il y avait d'énormes congères (accumulations de neige dues au vent).

Congère au pied du Petit-Hohneck

Cet air froid pour la saison a persisté en France jusque lundi. Sur la carte ci-dessous, on visualise la masse d'air froid ayant envahi l'Europe au cours du weekend, contrastant avec la masse d'air doux sur l'Atlantique. Au-dessus de la France, la température est descendue sous -6 °C à 850 hPa. Avec une telle masse d'air en décembre ou janvier, les températures à 2 m en plaine auraient pu demeurer inférieures au point de congélation l'après-midi. Mais les températures maximales sont bien plus élevées en mars-avril car l'évolution diurne de la couche limite atmosphérique - la partie inférieure de la troposphère - est plus importante : la surface reçoit davantage d'énergie solaire au printemps. La masse d'air arctique, en progressant vers les latitudes moyennes, a subi des modifications.

Température à 850 hPa le 03/04/2022
à 06 h UTC (source Wetter3)

En hiver, les nuits sont longues et le réchauffement diurne est limité. La température en plaine peut être plus basse qu'à 850 hPa (vers 1,5 km d'altitude), on observe régulièrement de fortes inversions thermiques près de la surface. Au printemps, le sol reçoit plus d'énergie (la puissance solaire et la durée du jour augmentent), il se réchauffe notablement en journée. La température peut d'ailleurs varier assez fortement dans la couche de surface, épaisse de quelques dizaines de mètres. Au sein d'une couche limite diurne bien mélangée, réchauffée par turbulence, le gradient thermique vertical est égal au gradient adiabatique sec : la température y décroît d'environ 1 °C pour 100 m d'élévation. Dans ces conditions, la température mesurée à une altitude proche du niveau de la mer peut excéder d'une quinzaine de degrés la température de l'atmosphère libre vers 1500 m. Les données du radiosondage de Trappes effectué dimanche 3 avril à mi-journée indiquent une température de +6,3 °C à 2 m pour -8,4 °C à 850 hPa. Une température maximale de 7,7 °C a été relevée dans le courant de l'après-midi à Trappes, et on a souvent mesuré moins de 10 °C ailleurs sur le territoire national, des valeurs inférieures aux moyennes climatiques.

Si des gelées se sont manifestées entre samedi et dimanche, la nuit de dimanche à lundi fût dans l'ensemble encore plus froide, en raison du ciel souvent dégagé. Les températures minimales observées lundi 4 avril sont montrées ci-dessous. Des records mensuels de froid ont été battus. Ces gelées tardives ont causé des dégâts sur la végétation, en particulier les arbres fruitiers.

Températures minimales du lundi 04/04/2022

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