Sable du Sahara

Des particules de sable d'origine saharienne sont parvenues en France et plus généralement en Europe au cours du mois de mars 2022, suite à une situation météorologique favorable. Ce type de phénomène n'est pas rare, à fortiori au printemps, mais les concentrations de poussières désertiques en suspension dans l'air étaient très importantes pour cet événement. L'augmentation du taux de particules fines a été relevée par différentes stations de mesures du réseau AASQA. Les aérosols désertiques absorbent une partie du rayonnement émis par le Soleil. Comme ils diffusent également la lumière, le ciel a fréquemment pris une teinte jaune-orangée ! Les poussières désertiques se sont déposées sur la neige en montagne. Les véhicules se sont recouverts de sable, le dépôt ayant été favorisé par des précipitations.

Ciel orangé dans les Vosges à la Bresse-Hohneck
 
Sable sur une voiture suite à un dépôt humide

Les remontées de sable du Sahara se produisent dans des contextes météorologiques bien particuliers, lorsqu'un thalweg s'enfonce jusqu'en Afrique du Nord-ouest. Les contours cyans sur la figure ci-dessous représentent le géopotentiel à 700 hPa, le mardi 15 mars à mi-journée. On repère alors un minimum de bas géopotentiels au sud de la péninsule Ibérique, tandis qu'une dorsale anticyclonique s'étire en Méditerranée. Le vent souffle en suivant les isohypses, il laisse les hauts géopotentiels à sa droite et sa vitesse est inversement proportionnelle à l'espacement entre les isohypses. La dépression peu mobile nommée Celia pilote donc un flux de sud-sud-est vers l'Espagne et la Méditerranée occidentale. Sur la France, le vent s'oriente au sud-ouest. Il en résulte une advection d'air chaud chargé d'aérosols désertiques préalablement soulevés en Afrique par érosion éolienne.

Composition colorée (IR 12.0 - IR 10.8 / IR 10.8 - IR 8.7 / IR 10.8) à partir du satellite Météosat et géopotentiel à 700 hPa le 15/03/2022 à 12 h UTC. Source : EUMeTrain.

La composition colorée permet d'identifier les poussières, car elle renseigne sur le degré de transparence de l'atmosphère. Les zones riches en poussières apparaissent en rose. L'image permet aussi de distinguer les nuages : les cirrus par exemple ressortent en noir et les teintes rouges indiquent la présence de nuages épais en altitude constitués de cristaux de glace. Ces derniers sont éventuellement mélangés à du sable, la détection des poussières est rendue difficile par leur présence.

La figure suivante montre que la masse d'air circulant mardi au-dessus de la France provenait effectivement d'Afrique du Nord. L'air s'est enrichi en particules de sable du Sahara en Algérie, puis a subi une ascendance lundi à l'est du système dépressionnaire tout en remontant sur l'Espagne avant de survoler l'Hexagone.

Trajectoire sur 72 heures d'une masse d'air arrivant à 15 h UTC le mardi 15/03/2022 à 4000 m AGL au-dessus de l'Alsace dans le nord-est de la France. Source : NOAA.

Les aérosols dans l'atmosphère absorbent et diffusent le rayonnement solaire. Pour caractériser la transparence de l'atmosphère, on détermine son épaisseur optique (ou profondeur optique) mesurant en fait l'atténuation du rayonnement due aux aérosols. La profondeur optique est reliée à la concentration de poussières. La prochaine figure montre l'évolution de l'épaisseur optique des aérosols désertiques en Europe de l'Ouest à partir du 15/03 à 03 h UTC, par intervalles de 24 heures. Les plus faibles valeurs sont en violet et bleu foncé. Les plus fortes valeurs (> 0,8) apparaissent en rouge et noir, indiquant la présence de poussières en grande quantité dans l'atmosphère.

Epaisseur optique des poussières désertiques simulée entre le 15 et le 18 mars 2022 (de gauche à droite et de haut en bas). Sources : Météociel, NASA (modèle GEOS-5).

Les aérosols désertiques sont transportés par le vent sur de longues distances, jusqu'en Scandinavie le 17 mars. A partir du 18 mars, l'amplification d'un anticyclone centré au voisinage du Royaume-Uni et de la mer du Nord induit un flux de secteur E sur son flanc sud provoquant le déplacement des poussières vers l'ouest, en direction de la France et du proche Atlantique (non montré).

Le panache de sable mardi est bien visible sur l'image satellite composite de la NASA, ci-dessous en Espagne et du golfe de Gascogne à l'est de la France. Le lendemain, mercredi 16 mars, on remarque la présence de nombreux nuages dans le secteur chaud d'une perturbation, dont des cirrus (aspect fibreux sur les régions centrales du pays). Les poussières désertiques soulevées jusqu'en haute troposphère ont joué le rôle de noyaux glaciogènes. Leur concentration importante a facilité la formation et le maintien d'une couverture nuageuse réfléchissante jeudi.

Images satellitaires le 15/03/2022 (en haut à gauche), le 16/03/2022 (en haut à droite) et le 17/03/2022 (en bas). Sources : NASA MODIS Terra, Météociel.
 

L'image en bas à droite est simplement un zoom de la photo de gauche sur le nord-ouest de la France ; la démarcation entre la bande de nuages et la zone ensoleillée en Bretagne et le long des côtes de la Manche est nette. On observe par ailleurs une ombre portée.

Les conséquences d'une arrivée massive de sable du Sahara sont multiples :

  • impact sur la qualité de l'air et la visibilité ;
  • dépôts de sable sur les surfaces ;
  • danger éventuel pour la sécurité aérienne ;
  • influence sur la nébulosité et l'ensoleillement ;
  • répercussion sur les températures.

La puissance solaire reçue au sol est moindre lorsque l'atmosphère est chargée de poussières et le ciel est nébuleux. Cela affecte le réchauffement diurne. Pour prédire la température de surface, les modèles numériques de prévision du temps doivent estimer précisément les différents flux radiatifs et de chaleur à la surface. Dans les modèles opérationnels actuels, l'effet des aérosols est pris en considération mais les concentrations de poussières à différents niveaux de l'atmosphère et l'épaisseur optique sont encore souvent fixées à partir de distributions climatologiques (moyennes mensuelles). Lorsque, peu fréquemment, les teneurs effectives de poussières sont telles qu'elle s'écartent notablement de la climatologie, il en résulte des erreurs de prévision sur la nébulosité et le champ de température.

Voici par exemple deux cartes montrant la température maximale prévue par le modèle AROME le mercredi 16 février. La sortie de 06 h UTC prévoit des températures supérieures à la sortie de 12 h UTC (l'assimilation de données météorologiques récentes améliore la prévision). 

Des valeurs comprises entre 18 et 20 °C sont initialement prévues dans la région Centre-Val de Loire. Finalement, on a relevé 16,8 °C à Châteauroux, 15,4 °C à Bourges et 14,3 °C à Orléans.

Températures maximales à 2 m prévues par AROME le 16/03/2022 : cycle 6 Z (à gauche) et cycle 12 Z (à droite). Sources : Météo-France, Météociel.
 
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