Si vous étiez jeudi 27 janvier dans le nord-est de la France ou en Allemagne,
vous avez peut-être pu observer de faibles précipitations verglaçantes en
soirée. Une perturbation de faible activité a en effet traversé ces régions,
en lien avec une dépression située vers la mer Baltique. Par des températures
parfois inférieures au point de congélation, des bruines ou des pluies faibles
se sont manifestées. Lorsque dans ces circonstances les gouttelettes d'eau
atteignent un sol gelé ou rencontrent un obstacle sur leur trajet, elles
congèlent au contact. La photo ci-dessous prise le
lendemain montre le givrage au niveau d'un piquet dans le massif vosgien, où
la température jeudi soir était négative. Mais alors, comment expliquer la
nature liquide des précipitations ?
A un instant t et en un point géographique donné, l'air atmosphérique contient toujours une certaine quantité de vapeur d'eau. Par définition, l'humidité spécifique q d'une particule d'air est la masse de vapeur d'eau par unité de masse totale de cette particule, usuellement exprimée en g/kg. La quantité de vapeur d'eau que l'air peut contenir est limitée, elle dépend de la température. Plus l'air est chaud, plus il peut contenir d'eau sous forme gazeuse. Une particule d'air ne pouvant plus accueillir de vapeur d'eau est dite saturée. L'humidité spécifique à saturation notée qs est fonction de la température et de la pression. En météorologie, on mesure l'humidité relative qui est simplement le rapport q/qs. Une humidité relative de 100 % correspond donc à de l'air saturé, ce qui arrive notamment en cas de brouillard. A ce stade, tout excédent de vapeur d'eau est amené à se condenser. Si une station relève une humidité relative H et une température T, il est facile d'évaluer la concentration effective de vapeur d'eau dans l'air.
Le refroidissement par ascendance est le principal mécanisme permettant la condensation dans l'atmosphère. Lorsqu'une parcelle d'air est forcée de s'élever pour une raison quelconque (un forçage frontal par exemple), sa pression diminue et elle se refroidit si bien que son humidité spécifique saturante baisse et son humidité relative augmente, l'humidité spécifique effective q étant conservée tant que l'air est insaturé. Si la parcelle d'air monte suffisamment, elle peut atteindre le niveau dit de condensation pas ascendance. Supposons que l'ascension se poursuive au-delà de ce niveau. Par conséquent, la parcelle d'air devenue saturée continue de se refroidir et sa capacité à contenir de la vapeur d'eau diminue encore. L'excèdent de vapeur d'eau doit se condenser. La condensation au sein de l'atmosphère nécessite la présence de supports, les aérosols, pour former des micro-gouttelettes d'eau ou de minuscules cristaux de glace ensuite capables de grossir et se multiplier par divers processus qui pourront être développés dans un article ultérieur. Mais la condensation solide ne devient efficace qu'à des températures relativement basses, disons inférieures à -8 °C, de sorte que les nuages sont couramment composés d'eau liquide à température négative : c'est ce qu'on appelle l'état de surfusion. Les nuages au-dessus de nos têtes sont régulièrement composés d'un mélange d'eau surfondue et de glace, tandis que les nuages d'altitude très froids tels que les cirrus sont exclusivement constitués de cristaux de glace.
Après ces quelques notions élémentaires, concentrons-nous sur la situation météorologique du 27 janvier 2022. A 18 h UTC, l'image infrarouge révèle la présence d'une bande nuageuse s'étirant entre la Bretagne et le sud de l'Allemagne. Le champ de géopotentiel à 500 hPa fait apparaître un thalweg dont l'axe aborde le Benelux. On observe sur une partie nord de la France une langue d'air doux et humide à 850 hPa, mise en évidence ici à partir du champ de température potentielle équivalente (theta-e). Ce dernier paramètre caractérise la température et l'humidité d'une masse d'air, indépendamment de son altitude. Le gradient horizontal modéré de theta-e entre la Manche et l'Allemagne traduit un front froid qu'on retrouve effectivement en coupe verticale à travers la perturbation.
Analysons maintenant différents profils verticaux issus de radiosondages. Le premier sondage présenté ci-dessous est celui de Idar-Oberstein en Allemagne, pas très loin à l'est du Luxembourg et au nord de la frontière avec le département français de la Moselle. Il révèle la présence d'une couche saturée entre la surface et 750 hPa. Pour rappel, la courbe rouge représente la température et la courbe bleue la température du thermomètre mouillé. Plus l'écart entre ces deux courbes est grand, plus l'air est sec, ou dit autrement moins son humidité relative est élevée. Si les courbes se confondent, l'air est saturé. L'autre courbe, de couleur cyan, représente le point de rosée. L'isotherme 0 °C est mis en évidence en orange tandis que les deux traits roses soulignent les isothermes -10 °C et -20 °C. La couche délimitée par ces deux isothermes est en fait la zone de croissance optimale des cristaux de glace et donc des flocons de neige. En anglais, on appelle cette zone la DGZ pour Dendritic Growth Zone. Sur le profil présenté, elle se situe assez haut, entre 550 et 650 hPa. En effet, l'isotherme - 10 °C se trouve à près de 3,7 km d'altitude. En outre, la DGZ est insaturée. Comme montré en coupe verticale, les nuages ont une faible extension verticale.
La température étant faiblement négative entre 750 et 850 hPa, il est probable
que les nuages entre ces deux niveaux soient composés de
fines gouttelettes d'eau surfondue. Vers 900 hPa, on observe un nez chaud. Ce dernier s'est
toutefois réduit entre le sondage de 10 h UTC (non montré) et celui de 16 h
UTC, en raison de la progression du front froid. Plus tôt en journée, la
température à 2 m était légèrement négative d'après les observations.
Finalement, ce sondage avec une couche saturée dans les
niveaux inférieurs surmontée par une couche d'air sec est typique d'une
situation de bruine verglaçante si la température de surface est négative.
Le profil vertical suivant au-dessus de Payerne en Suisse à 23 h UTC est assez similaire mais le nez chaud est plus prononcé et les basses couches ne sont pas saturées à tous les niveaux. La DGZ reste haute et sèche. La couche d'air relativement chaud circulant au-dessus de l'air plus froid en surface ne laisserait quoiqu'il en soit aucune chance à des précipitations solides d'atteindre le sol sans avoir préalablement fondu. Par rapport à Idar-Oberstein, la température de surface est un peu plus basse et inférieure au point de congélation : l'occurrence de verglas ne fait aucun doute en cas de pluie.
Pour terminer, voici un autre sondage, celui de Kuemmersbruck, commune
allemande située en Bavière. Le caractère plus froid de la masse d'air se
remarque par un profil de température décalé vers le gauche par rapport aux
deux précédents, et parce que le niveau de la tropopause thermique - où le
gradient vertical de température change assez brutalement - est un peu plus
bas. Il n'y a pas de nez chaud ici, la température est négative au-dessus de
660 m et l'air est proche de la saturation dans la DGZ. La température à 2 m
est d'environ 2 °C. Dans ce contexte, les flocons de neige éventuels fondent
au-moins partiellement avant d'atteindre le sol à 419 m d'altitude.
La limite pluie-neige est située un peu au-dessous de l'isotherme 0 °C,
généralement 200-300 m plus bas, mais il est utile de tenir compte du profil
vertical d'humidité pour estimer plus précisément la limite pluie-neige. Une
méthode simple et pouvant être utilisée en prévision est de déterminer
l'altitude de l'iso-Tw = 1 °C, c'est à dire où la température du
thermomètre mouillé vaut 1 °C. On peut l'évaluer visuellement sur le diagramme
thermodynamique ou la déterminer via les données de la table attributaire du
sondage, si on y a accès. Dans le cas étudié, l'humidité relative est élevée
au-dessus du sol, et l'iso-Tw = 1 °C se situe vers 500 m au moment
du radiosondage. Si nous avions estimé grossièrement la limite pluie-neige en
retirant 300 m à l'altitude de l'iso-0 °C, nous aurions obtenu une limite
pluie-neige au sol. Or les observations dans la nuit du 27 au 28 janvier
indiquent bien de la pluie à Kuemmersbruck. En revanche, des chutes
de neige ont affecté la région un peu plus au nord.