Du 31 janvier au 1er février 2022, les régions
méditerranéennes de la France ont été touchées par des vents parfois très
violents. Dans un flux rapide de secteur nord à nord-ouest, les reliefs ont
généré des ondes de gravité atmosphériques. Il ne s'agit pas d'un phénomène
exceptionnel en soi dans la mesure où les ondes sont omniprésentes dans
l'atmosphère, le vent a en revanche soufflé en tempête par endroit,
occasionnant des dégâts. Les nuages lenticulaires pouvant être observés du
côté sous le vent des montagnes sont la manifestation visuelle des ondes
orographiques, lesquelles peuvent dans certaines circonstances se propager
horizontalement sur des distances de plusieurs dizaines de kilomètres. L'image
ci-dessous montre ainsi des nuages d'ondes vus par satellite le mardi 1er
février, en aval du Massif central. Les nuages sont disposés en bandes
parallèles espacées d'une distance correspondant à la longueur d'onde,
laquelle est à peu près proportionnelle à la vitesse du vent. La neige est par
ailleurs bien visible sur les Alpes et la montagne corse. Le ciel apparaît
dégagé en région PACA, où aucun nuage n'est à priori observé. Cela ne signifie
pas l'absence d'ondes orographiques : si l'air est trop sec, les nuages ne
peuvent se former.
Les ondes de gravité interne apparaissent au sein d'une couche atmosphérique stable, c'est à dire dans des conditions où la température potentielle augmente avec l'altitude. Si l'on considère une particule d'air, cette dernière est soumise à deux forces sur la verticale en négligeant les frottements visqueux : la force de gravité dirigée vers le bas, la force de pression dirigée vers le haut. La résultante de ces forces s'appelle la force de flottabilité dont on montre qu'elle dépend de l'écart entre la température de la particule d'air et la température de son environnement immédiat. Si une particule est plus chaude ou moins dense que l'environnement qui l'entoure, elle subit une accélération vers le haut. C'est ainsi par exemple que se développent les nuages d'orage de type cumulonimbus en saison chaude dans l'air instable. Si en revanche la particule est plus froide ou plus dense que l'air environnant, elle est accélérée vers le bas. Une parcelle d'air contrainte de s'élever dans une atmosphère stable devient plus froide que son environnement. C'est ce qui est montré dans un exemple sur le diagramme thermodynamique présenté ci-dessous : une parcelle d'air subit depuis le niveau 850 hPa un déplacement vertical ∆z et se refroidit suivant le gradient adiabatique sec, soit selon un taux plus important que le taux de décroissance de la température de l'atmosphère donnée par la courbe d'état en rouge. Dans ce cas, la force de flottabilité agit telle une force de rappel de la particule vers sa position initiale. Sans forçage pour vaincre la flottabilité, la particule redescend. Ayant retrouvé à un instant donné sa position d'équilibre, la particule poursuit cependant son déplacement vers le bas un peu au delà de cette position du fait de son inertie, et ainsi devient plus chaude que son environnement. Par conséquent, elle est accélérée vers le haut. En remontant, elle dépasse à nouveau sa position d'équilibre, redescend et ainsi de suite. Par analogie, on peut imaginer une balle flottant initialement dans un seau rempli d'eau (fluide plus dense que l'air). Si la balle est immergée volontairement puis lâchée, elle va en raison de la poussée d'Archimède remonter spontanément vers la surface où elle subira de petites oscillations verticales amorties. Au sein de l'atmosphère, l'air soumis à des déplacements verticaux dans des conditions stables oscille de même autour de sa position d'équilibre avec une pulsation donnée par la fréquence de Brunt-Vaïsälä notée N. Plus l'air est stable, plus N est grand. En situation d'inversion thermique par exemple, N est élevée : l'environnement est favorable à la formation d'ondes de gravité. Si l'air est instable (conduisant les parcelles d'air à s'écarter de leur position initiale) ou neutre du point de vue de la flottabilité, les ondes de gravité ne sont pas en mesure de se développer mais l'atmosphère peut être le siège de turbulence.
Lorsque l'air au cours de son déplacement rencontre un obstacle comme une colline ou une montagne, il peut être au-moins en partie bloqué en amont, le contourner ou le franchir. Dans ce dernier cas, la perturbation de l'écoulement par les montagnes peut engendrer en fonction de la situation météorologique des ondes orographiques. Une couche d'air stable et un vent soutenu de direction quasi-perpendiculaire à l'orientation des crêtes montagneuses sont des conditions nécessaires à leur développement. L'influence du relief sur l'écoulement se fait parfois sentir sur toute la hauteur de la troposphère ! La distance horizontale entre deux crêtes définit la longueur d'onde, inversement proportionnelle à la fréquence. Dans la partie ascendante des ondes, l'air se condense éventuellement s'il est assez humide et si l'amplitude de l'onde est suffisante. Il se forme alors un nuage au niveau des crêtes s'évaporant dans la zone descendante (effet de foehn). Ces nuages appartenant généralement à l'espèce lenticularis apparaissent quasi-stationnaires.
Intéressons-nous maintenant à la situation météorologique du 31 janvier. La carte ci-dessous montre le champ de pression réduit au niveau de la mer à 12 h UTC ainsi que la position des différents fronts ce jour-là. Tandis que l'Allemagne est concernée par la dépression nommée Corrie, une autre dépression indiquée par la lettre "D" en rouge se forme sous le vent des Alpes suite à l'enfoncement d'un front froid en Méditerranée. Le vent d'altitude n'est pas représenté, mais à cet instant un puissant courant-jet méridien souffle à la tropopause, en direction du sud-est de la France où les isobares se resserrent significativement. L'augmentation du gradient de pression entre la dépression du golfe de Gênes et l'anticyclone atlantique se traduit par un renforcement du vent de secteur nord (flèche bleue). Le mistral s'établit dans la vallée du Rhône.
Le contexte météorologique est favorable au développement d'ondes de gravité
en aval du Massif central et de la chaîne alpine, sur la région PACA et sur
le Languedoc. Ces ondes ont des particularités qui dépendent d'une part des
dimensions et de la forme souvent complexe du relief, et d'autre part du
vent et de la stabilité de l'air qui déterminent la longueur d'onde de
résonance naturelle des ondes de gravité atmosphériques. Cette dernière
dépend des conditions atmosphériques et est d'autant plus grande que
l'écoulement est rapide (vent fort) et l'air est peu stable (N peu
élevée). Par vent soutenu et dans des conditions de faible stabilité, une
montagne étroite pourra ainsi générer des ondes dites évanescentes dont
l'amplitude limitée s'atténue avec l'altitude : la fréquence des ondes
excitées par le relief étant supérieure à la fréquence de Brunt-Vaïsälä, on
observe un amortissement assez rapide. Au contraire, dans une atmosphère
très stable (N grand), la longueur d'onde de résonance naturelle est
relativement courte, si bien que les ondes induites par un relief de
dimensions suffisantes peuvent se propager vers le haut. Mais l'atmosphère
réelle est un milieu complexe où des ondes de différente nature se
superposent, et où le vent et la stabilité varient généralement avec
l'altitude, modifiant la longueur d'onde de résonance naturelle et par voie
de conséquence les caractéristiques des ondes. Il existe alors un type
particulier d'ondes orographiques : les ondes piégées, ou ondes de sillage.
Ces dernières apparaissent dans une couche atmosphérique particulièrement
stable surmontant une région de moindre stabilité au voisinage des sommets
montagneux, et quand le vent moyen croît avec l'altitude. Il se produit un
phénomène de résonance. Au delà d'un certain niveau, la stabilité statique
diminue et le vent est fort, la longueur d'onde de résonance naturelle
augmentant à un point tel que les ondes sont finalement amorties. L'énergie
associée aux ondes piégées se propage horizontalement, parfois sur de
longues distances avant de se dissiper.
Il n'est pas possible de mettre en évidence les ondes de sillage sur une
carte du champ de vitesse verticale dans une simulation hydrostatique car
elles sont filtrées. Dans les modèles hydrostatiques, l'effet des ondes de
gravité doit donc être pris en compte par le biais de paramétrisations. Sur
la figure suivante est représentée la composante non-hydrostatique du champ
de vitesse verticale à 700 hPa telle que calculée par le modèle AROME à
haute résolution le lundi 31 janvier au soir. On remarque tout de suite des
zones d'ascendance alternant avec des zones de subsidence de l'air, qui sont
la signature d'ondes orographiques. Les ondulations du géopotentiel ne sont
pas bien visibles sur la carte, mais il faut savoir que le champ de pression
aussi est perturbé à petite échelle.
Les deux figures suivantes montrent respectivement les champs de vitesse
verticale et de température potentielle équivalente (theta-e) en coupe
verticale, entre les points A et B ajoutés sur la carte précédente,
approximativement distants de 300 km. Les ondes sont excitées dans la Drôme
et le Vaucluse, entre le Vercors et la montagne du Lubéron. Comme on peut le
voir, ces ondes de gravité sont associées à des vitesses verticales
relativement importantes, de l'ordre de quelques m/s. A titre de
comparaison, la vitesse verticale à l'échelle synoptique est de l'ordre du
cm/s ! Les ondes sont pratiquement en phase avec les montagnes. Elles se
propagent vers la côte puis l'énergie se dissipe.
Puisque l'air se déplace suivant les isentropes (c'est à dire les lignes d'égale température potentielle), le champ de theta-e épouse bien la forme des ondes. L'atmosphère est d'autant plus stable que la température potentielle équivalente augmente rapidement avec l'altitude (isentropes rapprochées). On est visiblement en présence d'ondes piégées à l'étage moyen, où la stabilité statique est plutôt forte. L'énergie associée aux ondes s'accumule sous un niveau (environ 650 hPa ici) à partir duquel la stabilité statique faiblit et les ondes deviennent évanescentes (leur amplitude diminue avec l'altitude).
Les ondes de sillage générées en aval du Massif central, à l'origine de
nuages d'ondes lundi et mardi, étaient également visibles en coupe verticale
lundi après-midi :
Le vent de nord à nord-ouest s'est considérablement renforcé suite à
l'augmentation du gradient de pression, comme déjà évoqué. La carte suivante
montre les rafales de vent maximales prévues à la surface par le modèle
AROME lundi soir. On observe une zone de vents particulièrement forts par
rafales dans la basse vallée du Rhône, dans le domaine du mistral. Ce
dernier est violent en sortie du couloir rhodanien. Le terrain en
interagissant avec l'écoulement influence notablement le champ de vent. La
subsidence en aval des reliefs favorise notamment des vents violents.
Certains maximums de vent sont à peu près disposés en bandes parallèles, à
l'instar des extrémums de vitesse verticale associés aux ondes de gravité.
Le déferlement de ces dernières participe au renforcement local du vent près
de la surface, et induit une forte turbulence.
Voici finalement la carte des vents maximaux atteints sur 24 heures
glissantes le mardi 1er février 2022 à 13 h locale (heure
française). Plusieurs rafales de vent au-dessus de 100 km/h ont été
mesurées, et certaines valeurs dépassent 130 km/h. Au Mont-Ventoux
particulièrement exposé au vent, une rafale extrême de 196 km/h a été
enregistrée ! A Murs en aval du plateau de Vaucluse, le vent a atteint 162
km/h. Au Castellet et à La Ciotat, le vent a soufflé respectivement jusqu'à
147 km/h et 170 km/h en fin de journée de lundi. Le Mont-Aigoual n'a
naturellement pas échappé à la violence du vent, avec une pointe à 173 km/h
relevée. De manière générale, le vent a soufflé fort sur les Cévennes, dans
l'Aude et les Pyrénées-Orientales, concernées par la tramontane.