Mer de nuages et vue sur les Alpes

Le début de la saison froide est une période idéale pour observer en montagne ce qu'on appelle communément une mer de nuages. La superbe photo ci-dessous date de fin décembre 2019 et fût prise depuis le Markstein dans le massif des Vosges, après une longue et belle randonnée. Outre la mer de nuages, on y voit les Alpes bernoises, situées à près de 170 km de distance au sud-est. Tandis que les vallées et la plaine sont sous la grisaille, la montagne profite à partir d'une certaine altitude de conditions sèches sous un ciel clair. Un observateur situé sur un sommet peut voir dans ce cas une couche de nuages stratiformes appelée mer de nuages.


Ce phénomène se produit généralement dans un contexte anticyclonique lorsqu'une subsidence synoptique de l'air induit un réchauffement de l'atmosphère et la formation d'une inversion thermique parfois marquée. L'humidité est alors bloquée dans les niveaux inférieurs, sous la couche d'inversion, où le vent est faible. La figure ci-dessous montre le profil vertical observé le jour de la photo en Suisse. Une couche saturée est présente entre 900 et 950 hPa ; à partir de 1 km d'altitude, on retrouve la couche d'inversion.

Sondage de Payerne (Suisse) le 29/12/19 à 12 h UTC. Source : Météociel.

En montagne, au-dessus de la mer de nuages, la visibilité est excellente. Ce 29 décembre, vers le coucher du soleil, on pouvait distinguer assez nettement le Mont-Blanc depuis les Vosges, comme en témoigne la photo suivante, prise avec un Nikon Coolpix P900. Au premier plan apparaissent le Rossberg et le sommet du Thanner Hubel, au second plan on devine le Jura suisse. Le Mont-Blanc est situé à un peu plus de 230 km.

 

Pour que la vue porte aussi loin, les conditions météorologiques ont leur importance, il faut que l'air soit limpide. Mais un premier facteur limitant la visibilité en un lieu donné est d'abord à prendre en compte : il s'agit de la rotondité de la Terre. On peut s'amuser à estimer grossièrement la distance maximale depuis laquelle un observateur situé à l'altitude h pourrait en théorie visualiser un objet au loin (pourvu qu'il soit suffisamment gros et éclairé) de hauteur H par rapport à la surface terrestre, à condition cependant qu'aucun obstacle ne s'interpose ! En s'appuyant sur la figure ci-dessous, à partir du théorème de Pythagore et en considérant que h et H sont très petits devant le rayon terrestre R, on trouve aisément que cette distance vaut :

d ≈ √ 2Rh + √ 2RH




D'après la précédente relation obtenue par un calcul géométrique simple, il serait donc théoriquement possible de voir le sommet du Mont-Blanc (4807 m) depuis un endroit situé comme le Markstein vers 1200 m d'altitude à une distance de :

√ ( 2 × 6400 × 1,2) + √ (2 × 6400 × 4,8) ≈ 371 km

En réalité, la diffusion moléculaire et la concentration dans l'air d'aérosols et de gouttelettes d'eau impactent beaucoup la visibilité. Mais nous avons aussi fait une hypothèse lors du raisonnement précédent : il a en effet été supposé que les rayons lumineux se propagent en ligne droite entre l'observateur et l'objet. Or la réfraction atmosphérique implique une trajectoire courbe. Si on reprend le schéma au-dessus par exemple, l'observateur peut voir les montagnes situées au loin car les rayons sont courbés en direction du sol (rayon de couleur orange). Cette courbure dépend du gradient vertical de température dans l'atmosphère, en moyenne égal à -6,5 °C/km dans la troposphère. Lorsque la température croît avec l'altitude, autrement dit en situation d'inversion, la déviation est encore plus importante : dans ces conditions, il est possible de voir des montagnes relativement éloignées !

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