Les premiers jours de l'an 2022 ont été marqués par la poursuite d'une vague
de douceur ayant atteint une ampleur exceptionnelle. Les massifs montagneux
ont connu une fonte des neiges importante et les températures ont atteint
des records. Heureusement, cet épisode de douceur a pris fin pour laisser la
place à un temps de saison mais parfois agité. Si les températures ont bien
diminué, aucune vague de froid à proprement parler n'a touché la France. Des
flocons de neige sont malgré tout tombés à basse altitude et les reliefs se
sont parés de blanc...
Fin de l'épisode de douceur : l'hiver revient!
Lundi 3 janvier, un thalweg d'altitude au-dessus de l'océan Atlantique nord approche d'une zone frontale et se dirige vers l'est, en direction des côtes européennes. La France est concernée par l'arrivée d'un front chaud évoluant en soirée sur toute la moitié nord du pays, à l'origine de pluies modérées. Une advection chaude se produit à l'avant de la perturbation dans un écoulement plutôt rapide de SO (flèche orange sur la carte ci-dessous). Juste à l'arrière de la bande frontale, au-dessus du proche-Atlantique, on a une advection froide (flèche bleue).
Température et vent (barbules) à 850 hPa le 03/01/2022 à 18 h UTC, analyse GFS.Quelques petits minimums dépressionnaires de surface apparaissent le long de la zone barocline, sans s'amplifier notablement. De fait, le front quasi-stationnaire n'ondule que très légèrement entre lundi et mardi. La figure ci-dessous est une vue par satellite mardi 4 décembre à 06 h UTC (cliquer pour agrandir). Les lignes noires identifient deux axes de thalweg en surface, correspondant aussi à deux bandes frontales associées à du fort tourbillon cyclonique. Ces fronts sont repérables en analysant le champ de température à 850 hPa : ils correspondent à des zones où le gradient de température potentielle équivalente (theta-e) est relativement élevé, i.e. où les isentropes sont rapprochées. La première perturbation qui traverse la France est associée à de grandes quantités de vapeur d'eau - l'eau précipitable atteint 20-25 mm - se condensant et retombant sous forme de pluie. Le vent est soutenu du centre-ouest au nord-est.
Les isohypses à 500 hPa sont superposées à l'image vapeur d'eau, permettant d'identifier la position du creux d'altitude dont l'axe se situe mardi matin au large du Portugal (trait brun). L'anomalie de basse tropopause, dont la localisation est indiquée par la flèche blanche, se repère par le ton noir à l'imagerie. Le cercle rose correspond à une zone de forçage en aval du thalweg, où l'advection de vorticité cyclonique et l'advection différentielle de température - l'advection froide diminuant ici avec l'altitude - contribuent à la baisse du géopotentiel.
De mardi à mercredi, le thalweg progresse vers l'est et le vent tourne pour s'orienter au secteur NO sur la France. Une masse d'air froid gagne alors le territoire, les températures descendant jusqu'à -6 °C à 850 hPa (vers 1400 m d'altitude). L'isotherme zéro s'abaissant, la neige tombe à nouveau sur les massifs. Les précipitations s'amenuisent toutefois mercredi matin. Un temps plus calme s'installe. En plaine, les températures mercredi ne dépassent pas 3 à 8 °C sur une grande partie du pays, tandis que la douceur résiste dans l'extrême sud-est et en Corse. La baisse de température est importante en de nombreux endroits. Ainsi, par exemple, la température maximale relevée à Clermont-Ferrand est de 5,1 °C le 5 janvier contre 16,8 °C au plus chaud la veille et 19 °C trois jours auparavant ! Pour situer ces valeurs dans la climatologie, la température maximale moyenne à Clermont-Ferrand en janvier est de 8 °C. Après une exceptionnelle période de douceur, les températures deviennent finalement plus proches des normales de saison.
Le mistral se lève
Par effet orographique, une petite dépression s'est formée sous le vent des
Alpes dans le golfe de Gênes. Entre le Massif central et la mer de Ligurie,
on conservait un contraste thermique horizontal important mercredi à
mi-journée, la baroclinie contribuant aussi à la cyclogenèse : d'un côté
l'air froid arrive par l'ouest, de l'autre l'air reste relativement chaud et
humide. Les montagnes font obstacle à la progression de l'air froid vers le
sud dans les basses couches.
Le gradient de pression et par conséquent le vent se sont renforcés en
Méditerranée, entre l'Occitanie et la Corse. La situation était propice au
mistral et à la tramontane. En coupe verticale, on peut voir la subsidence
dont l'effet est de renforcer le vent dans la vallée du Rhône, où l'air est
canalisé et accéléré entre le Massif central et les Alpes. La carte suivante
montre les rafales de vent à 10 m selon AROME le 5 janvier à 19 h UTC. Des
vents maximaux localement supérieurs à 120 km/h sont modélisés au large, en
sortie du couloir rhodanien.
Le vent a atteint 125 km/h à l'aéroport de Marignane, 122 km/h à Martigues,
111 km/h à Istres et Salonde-Provence, 104 km/h à Orange. Avec le retour de
la tramontane, de fortes rafales de vent ont par ailleurs été enregistrées
dans les Pyrénées-Orientales ; une pointe à 153 km/h a été relevée au Cap
Béar. Sur l'île de Beauté aussi le vent a soufflé fort : jusqu'à 140 km/h au
Cap Pertusato et même 156 km/h au Cap Sagro !
Une bombe sur l'Atlantique
Le thalweg en Europe occidentale s'enfonce jusqu'en Afrique du Nord, le
courant-jet prenant une orientation nord-sud sur le proche-Atlantique. Une
cyclogenèse explosive a lieu mercredi au sud du Groenland, conduisant au
développement d'une dépression très creuse (932 hPa) associée à des vents
violents et un vaste système frontal au-dessus de l'Atlantique.
L'amplification de l'onde se traduit par la levée d'une dorsale
anticyclonique sur la partie est du bassin océanique.
Sur la figure précédente, remarquez le fort gradient de pression entre les
Açores et le minimum au large de l'Islande. La dépression arrive rapidement
au stade mature puis de dissipation jeudi : elle cesse de se creuser pour
ensuite commencer son comblement. L'air chaud d'origine subtropicale s'isole
au coeur de l'anomalie cyclonique, on parle de séclusion. Le front piloté
par cette dépression donne des chutes de neige en Islande et à l'est du
Groenland. Il s'étire sur une très longue distance et finit par aborder la
France par la Bretagne jeudi après-midi (image ci-dessous). A l'arrière
s'organise une convection en air froid au-dessus de l'océan.
Des flocons jusqu'en plaine
La perturbation traverse la France d'ouest en est vendredi. Vous pouvez voir
ci-dessous les observations du temps le matin. La masse d'air est alors
suffisamment froide du Massif central à la Lorraine et l'Allemagne pour que
la neige tombe en plaine, les températures en surface étant en général
faiblement positives.
Les quantités restent néanmoins faibles, de quoi blanchir provisoirement les
sols à basse altitude. La tenue de la neige est d'autant plus difficile que
la température remonte un peu par évolution diurne. Plus à l'ouest, il fait
moins froid et on observe des averses de pluie, parfois de grésil.
Dans un courant rapide de nord-ouest, une anomalie cyclonique secondaire en surface (de courte longueur d'onde) circule sur l'Irlande et la Manche, évoluant vendredi soir et dans la nuit sur le nord de l'hexagone. La perturbation donne du vent et des précipitations modérées. Elle apporte de la neige en Belgique et en Allemagne, en France près des frontières ainsi que sur les hauts plateaux et les reliefs.
Un weekend de janvier perturbé
Samedi, la masse d'air s'est radoucie un peu avec l'arrivée d'une énième
perturbation atlantique en progression rapide, à l'avant d'un fort courant
jet d'altitude (> 80 m/s). La figure ci-après montre l'évolution des
précipitations entre 16 h locale samedi et 1 h dimanche. A 19 h, on
distingue encore bien le front chaud du front froid. Plus tard, le système
se décale sur les régions de l'est tout en parvenant au stade
d'occlusion.
Des pluies assez fortes ont été observées, ainsi que d'intenses bourrasques
de vent. La Bretagne, la Normandie, les Pays de la Loire et les côtes de
Charente-Maritime ont essuyé des vents > 100 km/h par rafales. La station
de la Pointe du Raz a même enregistré une pointe à 135 km/h samedi en début
de soirée.