L'approche de l'hiver coïncide avec l'allongement des nuits et l'apparition des premières gelées en plaine. On parle de jour de gel lorsque la température minimale mesurée sous abri est inférieure ou égale à 0 °C. Quelles sont les situations météorologiques qui favorisent le gel nocturne ou matinal ? Quand se produisent les premières gelées en France, et quel est l'impact du réchauffement climatique ? Cet article tente de répondre à ces questions.
Le refroidissement nocturne
Les surfaces perdent continuellement de l'énergie par émission de rayonnement
infrarouge (IR) : le sol, les objets, votre propre corps, les nuages ! D'après
la loi de Stefan-Boltzmann, le flux d'énergie ainsi émis par unité de surface
est proportionnel à la puissance quatrième de la température absolue (exprimée
en Kelvin) : une surface émet donc d'autant plus dans l'infrarouge qu'elle est
plus chaude. Même lorsque la température d'un corps est inférieure à 0 °C (~
273 K), il émet un rayonnement infrarouge : 278 W/m² à -5 °C contre 452 W/m² à
25 °C, dans l'hypothèse d'une émissivité de 0,95.
De jour, le sol reçoit de l'énergie solaire et se réchauffe tant que le bilan
radiatif à la surface est positif (i.e. le rayonnement reçu excède celui
perdu). Par un flux de chaleur turbulent, les basses couches de l'atmosphère
se réchauffent également. En général, dans des conditions météorologiques non
perturbées, la température maximale est atteinte en fin d'après-midi. A cet
instant de la journée, la puissance solaire reçue diminue et ne suffit bientôt
plus à compenser les pertes d'énergie notamment par rayonnement IR : le bilan
d'énergie devient négatif, le sol et l'air situé au-dessus commencent à se
refroidir. En l'absence de chauffage solaire, ce refroidissement peut alors se
poursuivre en soirée et la nuit, jusqu'au petit matin. A quelques cm au-dessus
de la surface, la température minimale peut être très inférieure à celle
mesurée sous abri, à 1,5 ou 2 m au-dessus du sol comme l'impose l'OMM. Ainsi,
les surfaces sont susceptibles de geler alors que la température de l'air sous
abri reste positive, auquel cas vous n'êtes pas forcément épargné de gratter
votre pare-brise !
La baisse de température près de la surface est plus importante lors des nuits
claires (dépourvues de nuages) et sans vent. En effet, si le ciel est très
nuageux, les pertes nettes du sol par rayonnement IR sont minimisées en raison
de l'émission de rayonnement IR par les nuages vers la surface : la
température évolue donc peu, voire pas du tout si le bilan d'énergie est
quasiment nul. Des nuages bas stratiformes émettant un fort rayonnement IR
auront pour effet de tempérer le refroidissement de la surface de façon
importante, tandis qu'un voile fin de nuages élevés comme des cirrus n'aura
que peu d'impact.
En l'absence de vent, l'atmosphère proche du sol se refroidit petit à petit par conduction. La turbulence nocturne est généralement faible, et le refroidissement s'opère principalement au sein d'une couche d'air relativement mince. En présence de vent, il y a création de turbulence dynamique contribuant à mélanger l'air près du sol avec l'air au-dessus permettant à l'atmosphère de se refroidir sur une plus grande épaisseur : dans ce cas cependant, la température de surface diminue beaucoup moins rapidement que par vent calme.
Finalement, les nuits étoilées et sans vent sont propices au refroidissement nocturne et donc, si initialement une masse d'air suffisamment froid est présente, à la formation de gel en automne-hiver. Généralement, ce type de situation se rencontre dans un contexte anticyclonique, pourvu que des nuages bas ne limitent la baisse de température. Une situation qui peut favoriser la formation de gel est également l'invasion d'air froid polaire après le passage d'une perturbation pluvieuse en provenance du nord-ouest et laissant un ciel nocturne dégagé, l'advection froide se conjuguant au refroidissement radiatif.
Notons que les vallées à l'abri du vent, les combes où l'air froid peut s'accumuler sont particulièrement favorisées par le gel nocturne : les températures peuvent y atteindre des valeurs très basses en comparaison avec les stations météorologiques situées aux alentours, notamment celles des réseaux METAR et SYNOP.
Premiers jours de gel en France
Après la saison estivale, les premières gelées en plaine ou en vallée ont lieu
généralement à partir d'octobre ou novembre. Certaines années, les gelées sont
assez précoces, intervenant avant mi-octobre. D'autres années, si la situation
météorologique ne s'y prête pas, le premier gel est plus tardif. Tandis que
les stations météorologiques sur le nord-est ou vers le centre du pays peuvent
enregistrer des gelées relativement tôt, les premières gelées se manifestent
plus tard en allant vers les côtes atlantiques et de la Manche où l'influence
maritime augmente, ainsi qu'autour de la Méditerranée (novembre à janvier).
Certaines villes littorales observent des gelées très peu fréquemment, parfois
une seule fois par an ou moins en moyenne.
La baisse de température en automne et par conséquent l'apparition des premières gelées sont évidemment reliées à la diminution de la durée du jour et de l'irradiation solaire. L'énergie solaire reçue fin octobre et début novembre est équivalente à celle reçue en février. Pourtant, il fait en moyenne plus froid en février, mois au cours duquel les gelées peuvent d'ailleurs être fréquentes et parfois sévères. Pourquoi ? L'atmosphère présente simplement une inertie thermique : en novembre, les masses d'air de l'hémisphère nord se refroidissent graduellement depuis la fin de l'été, mais elles ne sont globalement pas encore aussi froides qu'en février, quelques semaines après le solstice d'hiver (première figure ci-dessous).
Malgré tout, il arrive que des masses d'air très froid parviennent en Europe
de l'Ouest avant l'hiver, comme ce fût le cas du 3 au 7 novembre 1980
(figure ci-après) suite à l'installation d'un régime de blocage. Ces
jours-là, la température s'abaissa au-dessous de 0 °C dans de nombreuses
régions : on enregistra entre autres -4,9 °C à Nancy le 3, -5 °C à Beauvais
et -3,1 °C à Paris le 4, -7,5 °C à Cognac, -4,3 °C à Toulouse et -1,2 °C à
l'Ile de Groix le 6 et enfin - 8,4 °C à Vichy le 7. Il fît également très
froid en journée, si bien qu'on observa localement des journées sans
dégel.
Le phénomène d'inertie explique aussi pourquoi il peut geler tardivement au printemps, jusqu'en avril ou mai, période moyenne des dernières gelées en plaine avant l'installation de l'été : la durée du jour augmente, mais les masses d'air ne sont pas encore bien réchauffées. En zone montagneuse, au-dessus de 1500 m, il peut geler toute l'année.
Une situation classique: gel automnal le 24 octobre 2021
La France a connu cet automne ses premières gelées. Le dimanche 24 octobre
2021 en particulier, il a gelé en plusieurs endroits et certaines stations
ont observé leur premier jour de gel déjà ; citons par exemple
Strasbourg et Châteauroux où la température minimale s'est abaissée à -0,9
°C et -1,5 °C respectivement. La carte ci-dessous montre les températures
minimales atteintes (cliquer pour agrandir). D'autres stations avaient déjà
observé du gel avant cette date, notamment le 14 octobre.
En zoomant sur le nord-est de la France (carte ci-dessous), on peut remarquer que pour la situation étudiée le gel matinal présente un caractère local et reste généralement faible (température souvent supérieure à -2 °C). Des gelées un peu plus fortes sont néanmoins très localement observées dans le Doubs, peut-être dans des combes ou "trous à froid" (cercle mauve). A l'inverse, la température est par endroit largement positive, éventuellement supérieure à 5 °C (cercles oranges). En fait, ces données proviennent de stations situées à moyenne altitude, dans les Vosges, en Bourgogne dans le Morvan et au Feldberg en Allemagne. Qu'il fasse plus froid en plaine qu'en montagne peut surprendre un peu, mais il s'agit d'une situation courante en automne-hiver, lors d'inversions thermiques dans un contexte de hautes pressions.
Or ce jour-là, un anticyclone est positionné en Europe centrale (~ 1030 hPa).
Tandis que l'écoulement de nord dirige de l'air froid en Europe de l'est, la
France est concernée par de l'air bien plus doux en altitude (> 7 °C à 850
hPa). La vitesse verticale synoptique qui accompagne l'anticyclone induit un
réchauffement et un assèchement de la masse d'air au-dessus de la couche
limite atmosphérique. Tandis que la plaine et les vallées connaissent la nuit
et au petit matin un temps froid et sont parfois plongées dans le brouillard,
localement givrant, la douceur et le soleil l'emportent en montagne où la
visibilité peut s'avérer excellente.
L'inversion de température apparait très marquée sur le sondage de
Idar-Oberstein en Allemagne (figure suivante). Samedi 23/10 à 18 h, la
température passe ainsi brusquement de -1 °C à +7 °C vers 85 kPa (environ
1600 m d'altitude). L'atmosphère libre est sèche (écart entre la courbe
d'état et la courbe bleue). En basses couches, le gradient thermique
vertical est proche de l'adiabatique sèche en fin de journée, traduisant une
couche mélangée, mais on observe que le refroidissement a débuté par vent
calme à faible près de la surface, où une petite inversion de température
commence à se former. Le lendemain matin à 8 h, le profil a changé, suite au
refroidissement nocturne la température de surface est proche de 0 °C,
légèrement négative. La température croît en revanche jusqu'à 11 °C environ
vers 1100 m d'altitude (inversion).
Sondage de Idar-Obserstein le 23/10/21 à 18 h (en haut) et le 23/10/21 à
6 h (en bas). Source :
Météociel (données
allemandes).
Les premières gelées sont-elles plus tardives qu'autrefois?
Avec le réchauffement climatique, il est légitime de se poser la question.
La température moyenne augmente, par conséquent la fréquence des gelées
diminue et la date de première gelée devrait reculer. Mais dans quelle
mesure ?
Pour apporter un élément de réponse, j'ai exploité les données météorologiques de deux stations françaises (Nancy-Essey et Toulouse-Blagnac) afin d'y extraire la date de premier jour de gel pour chaque année entre 1951 et 2020.
A Nancy tout d'abord, la date médiane de première gelée sur 1951-1980 est le 15 octobre, autrement dit on compte autant de jours de gel avant qu'après cette date sur la période considérée. Elle recule au 21 octobre pour la période 1961-1990 et au 29 octobre sur 1991-2020 ! Notons qu'il a gelé le 24 octobre 2021, donc conformément à la "normale". La figure ci-dessous montre que les gelées automnales sont effectivement plus tardives ; la courbe rouge est une moyenne glissante sur 20 ans. Avant 1980, il n'était pas rare d'observer les premières gelées avant mi-octobre. La gelée la plus précoce mesurée à Nancy depuis l'après-guerre fût même observée le 17 septembre 1971 (-1,2 °C). Au cours des trente dernières années, il a gelé seulement trois fois avant le 15 octobre et il faut désormais attendre plus souvent fin octobre ou novembre pour observer la première gelée dans la région nancéienne.
Le deuxième graphe est celui de Toulouse, où la date médiane de première
gelée s'est longtemps située autour de mi-novembre (cf. courbe rouge,
moyenne glissante avec une période de 20 ans). Sur 1991-2020, elle a reculé
au 20 novembre mais de façon moins marquée qu'à Nancy. La gelée la plus
précoce dans la ville rose s'est produite le 12 octobre 1975 (-0,8 °C).
Outre la tendance observée, on note une augmentation de la dispersion, le
premier gel ayant lieu généralement entre mi-octobre et fin décembre. En
2002/2003, il a même fallu patienter jusqu'au 5 janvier ! L'écart-type est
de 15 jours sur 1961-1990, il est de 22 jours sur 1991-2020. Entre 1991 et
2020, neuf premières gelées se sont produites après le 9 décembre et autant
avant le 11 novembre.
Il serait intéressant de regarder l'évolution pour d'autres stations. Néanmoins, dans les deux cas présentés, on voit qu'en moyenne la première gelée intervient près d'une semaine ou quinze jours plus tard par rapport au siècle dernier. On peut supposer que ces changements s'observent dans de nombreuses régions, de façon plus ou moins marquée.
La carte suivante montre que, sans réelle surprise, la tendance récente du
nombre annuel de jours sans gel est à la hausse sur une large partie de
l'Europe. Les pays de l'est, la Scandinavie et la Finlande où il peut geler
plus de 100 à 150 jours dans l'année sont particulièrement touchés (>
+0,6 par an). En Europe du Sud, où il gèle nettement moins souvent,
l'évolution n'est pas toujours significative. Sur le territoire français, la
tendance est la suivante : +0,4 à +0,6 jour par an sur le nord, le centre et
le nord-est, +0,2 à +0,4 jour par an ailleurs, excepté dans l'extrême sud.
Cela représente souvent 2 à 6 jours de gel annuel en moins par décennie
selon les régions.
Dans l'ensemble, compte tenu du réchauffement climatique, la période délimitée par la date de la première gelée et la date de la dernière gelée printanière a tendance à se réduire. On conserve toutefois une forte variabilité inter-annuelle. Le 26 août 2018, il a gelé dans la Marne, à Mourmelon-le-Grand, preuve que les gelées peuvent encore être très précoces !