Brumes et brouillards matinaux

En automne, les nuits rallongent et le refroidissement nocturne peut être important, les brouillards et nuages de type stratus deviennent un peu plus fréquents. Des brumes et brouillards ont souvent été observés dernièrement en France, mais également en Allemagne, Suisse, sur le Benelux ainsi qu'en Angleterre. Les nuages bas éventuellement formés dans le courant de la nuit peuvent se dissiper en matinée s'ils ne sont pas trop épais, laissant place à des conditions ensoleillées. Il arrive cependant qu'une couche de stratus se maintienne tout au long de la journée.

 
Brouillard radiatif en phase de dissipation.
Crédit : Gilles Davy.
 

Une situation météo propice aux brouillards

Le brouillard est un phénomène de basses couches, localisé ou étendu, dont l'apparition n'est pas sans lien avec la situation synoptique. Depuis quelques jours, l'Europe occidentale est sous l'influence de conditions anticycloniques. Dimanche 10 octobre, l'anticyclone de surface était centré au voisinage de l'Irlande (~ 1036 hPa). Cette situation météorologique plutôt calme fait suite à une période assez pluvieuse et agitée début octobre. Par conséquent, de l'humidité résiduelle est présente dans les basses couches de l'atmosphère.

 
Situation synoptique en Europe le 10/10/21 à 12 h UTC.
Source : Tropical Tidbits.
 

Mardi 12 octobre, une dorsale de hauts géopotentiels concerne toujours le proche Atlantique, plongeant la France dans un écoulement de composante nord, sur le bord est de l'anticyclone. L'Europe centrale et l'Europe du Nord sont sous l'influence d'un thalweg. Un front à l'origine de nuages bas et moyens associés à quelques précipitations s'étend désormais du Royaume-Uni à l'Allemagne (non montré), glissant sur le nord de la France tout en frontolysant.

 
Situation synoptique en Europe le 12/10/21 à 00 h UTC.
Source : Tropical Tidbits.
 

Un anticyclone s'accompagne dans l'atmosphère de subsidence de grande échelle, c'est-à-dire de mouvements descendants de l'air. Ces mouvements verticaux sont de faible intensité en comparaison avec la vitesse du vent (~ 10 m/s) ou encore les courants d'air rencontrés au sein des nuages d'orage. En effet, la vitesse verticale à l'échelle synoptique est de l'ordre du cm/s. La figure ci-dessous montre la trajectoire calculée de trois parcelles d'air sur une durée de 24 heures entre vendredi 8 octobre et samedi 9 octobre à 6 h UTC. Par exemple, l'air parvenu sur le nord-est de la France samedi matin à 2000 m d'altitude était situé au-dessus de la Pologne vers 3700 m d'altitude la veille (trajectoire représentée en vert). A Paris, la masse d'air samedi provenait aussi d'Europe centrale (trajectoire en rouge), traduisant alors des vents orientés à l'E-NE dans l'atmosphère libre, au-dessus de la couche limite planétaire. Dans leur mouvement vers l'ouest, les parcelles d'air sont parallèlement animées d'un mouvement descendant.


Trajectoires de parcelles d'air entre le 08/10/21 et le 09/10/21 à 06 h UTC. Source : NOAA.
 

On peut aisément estimer la vitesse verticale notée w à partir des données de la figure. Par exemple, la parcelle d'air dont la trajectoire est représentée en bleu perd 1500 m d'altitude en 24 heures, correspondant à une vitesse approximative de - 1500 / (3600 x 24) = - 0,017 m/s, soit - 1,7 cm/s (le signe négatif indiquant ici un mouvement vers le bas).

Lorsque l'air descend, aussi faible soit son mouvement vertical, il subit une compression et un réchauffement, lequel peut être considéré comme adiabatique en l'absence d'échange de chaleur avec l'extérieur. Dans ces circonstances, on peut montrer en thermodynamique que le taux de réchauffement est pratiquement donné par le terme w * (γa - γ), où γa est le gradient adiabatique sec égal à - 9,8 °C/km (indice "a" pour adiabatique) et γ est le taux de variation de la température avec l'altitude z, soit γ = dT/dz. En moyenne, le gradient thermique vertical est négatif (la température baisse avec l'altitude) et voisin de - 6.5 °C/km. Lors des mouvements descendants, le réchauffement local dû au travail des forces de pression est en fait tempéré par le transport vertical d'air plus froid. En prenant par exemple w = - 0,017 m/s soit - 1500 m/jour, γa= - 0,0098 K/m et γ = - 0,0065 K/m, on trouve tout de même un réchauffement théorique de quasiment 5 °C en un jour ! On a négligé ici l'advection thermique horizontale, i.e. le transport par le vent d'air aux propriétés différentes.

L'analyse du sondage de Idar-Oberstein en Allemagne à 24 heures d'intervalle est particulièrement intéressante (figure suivante). Elle montre le réchauffement causé par la subsidence effectivement observé sur une journée entre 850 hPa (~ 1,5 km d'altitude) et 700 hPa (~ 3 km) : entre les deux dates, la courbe de température (en rouge) se décale vers la droite. D'après les données tabulaires, la température mesurée à 2000 m était exactement de 4,5 °C le 08/10 à 6 h et de 8,8 °C le 09/10 à la même heure, soit une hausse de 4,3 °C de la température en 24 heures, une valeur pas si éloignée de celle obtenue plus haut ! Il résulte de ce réchauffement une forte inversion thermique vers 1500 m d'altitude : la température croît très rapidement sur 100 à 200 m. Au-dessus du sol, une autre inversion de température est présente, due au refroidissement nocturne.


  Sondages de Idar-Oberstein le 08/10/21 à 6 h (haut) et le 09/10/21 à 6 h (bas). Source : Météociel.

Sur ces diagrammes, la courbe bleue représente la température du thermomètre mouillé. Plus l'écart entre la courbe d'état en rouge et la courbe bleue est important, plus l'air est sec. On note donc que la subsidence s'accompagne aussi d'un assèchement de la masse d'air au-dessus de la couche limite. Au voisinage du sol en revanche, dans les deux cas les courbes visuellement tendent à se rejoindre, l'air humide y est donc proche de la saturation. En effet, la quantité de vapeur d'eau que l'air peut contenir est une fonction croissante de la température, autrement dit une masse d'air peut accueillir d'autant plus de vapeur d'eau qu'elle est plus chaude. Lorsque l'air est saturé, l'humidité relative atteint 100 % et tout refroidissement ou enrichissement en vapeur d'eau à ce stade conduit l'excédent de vapeur d'eau à se condenser. Dans ce cas, il peut se former de la brume voire du brouillard.

Finalement, si anticyclone rime souvent avec "beau temps", ce n'est pas systématiquement le cas, surtout à l'approche de l'hiver. En présence d'une puissante inversion de température, renforcée au sommet de la couche limite atmosphérique par la subsidence et le réchauffement adiabatique, l'humidité se retrouve piégée dans les niveaux inférieurs tandis que l'air au-dessus s'assèche. Comme l'évolution diurne des températures est limitée en automne-hiver, la couche d'inversion peut se maintenir, surtout si elle est marquée ou relativement haute, et favoriser la persistance de grisaille en journée.

Le brouillard de rayonnement

Le brouillard est la suspension dans l'air de fines gouttelettes d'eau au voisinage de la surface, réduisant la visibilité à moins de 1000 m. Quand la visibilité est moins mauvaise, on parle plutôt de brume. Il existe plusieurs types de brouillard selon leur mode de formation. Le brouillard radiatif (ou de rayonnement) est indéniablement celui qu'on rencontre le plus souvent à l'intérieur des terres. Son apparition fait suite au refroidissement radiatif nocturne de la surface, d'où son nom.

De jour, la surface terrestre reçoit de l'énergie solaire et en perd par rayonnement infrarouge. Avec un bilan radiatif positif, le sol se réchauffe. Les basses couches de l'atmosphère se réchauffent à leur tour par turbulence (flux de chaleur sensible émis par la surface). La nuit, le rayonnement solaire est nul et, si le ciel est suffisamment dégagé, le sol perd de la chaleur par rayonnement. Le refroidissement est communiqué petit à petit aux couches d'air situées juste au-dessus de la surface. Au fur et à mesure que l'air près du sol se refroidit, la proportion de vapeur d'eau maximale qu'il peut contenir diminue tandis que le contenu effectif en vapeur d'eau dans l'air demeure quant à lui à peu près constant. Dans des conditions calmes, stables, ce processus se déroule à pression quasi-constante. Le point de rosée, souvent noté Td, mesure le degré d'humidité atmosphérique : c'est précisément la température à laquelle une parcelle d'air de température T atteindrait le point de condensation si elle subissait un refroidissement isobare. Lorsque T diminue et devient égale à Td, l'air est saturé. Sur les sondages présentés plus haut, la courbe représentative du point de rosée est celle située la plus à gauche par rapport aux deux autres, en cyan.

Le phénomène de condensation près du sol se traduit d'abord par l'apparition de rosée et la suspension de très fines gouttelettes d'eau dans l'air. Des bancs de brume se forment, ayant pour effet de réduire localement la visibilité. Puis, si par vent très faible la température de l'air diminue encore, le processus de condensation peut se poursuivre et le brouillard s'épaissir progressivement. S'il devient dense, le brouillard a pour effet de limiter la baisse de température de l'air en surface car le rayonnement alors émis dans l'infrarouge en direction du sol vient équilibrer peu ou prou celui émis par la surface elle-même vers l'atmosphère : le bilan radiatif s'annule.

Le tableau ci-après montre l'évolution nycthémérale typique de T et Td lors d'un cas de formation de brouillard radiatif. A 15 h UTC (17 h locale), la température a atteint son maximum diurne puis baisse régulièrement par ciel clair en soirée. Le refroidissement se poursuit jusqu'en milieu de nuit. Il a été supposé précédemment que le contenu en eau de l'air dont une mesure est donnée par le point de rosée n'évoluait pas par temps calme. Ce n'est pas tout à fait exact : en réalité, le point de rosée oscille plus ou moins sur une journée, même sans véritable changement de masse d'air, en raison des échanges de vapeur d'eau près de la surface. La condensation lors de la formation de rosée par exemple s'accompagne d'une diminution de la concentration de vapeur d'eau dans l'air. Dans le cas considéré ici, le point de rosée à 20 h est de 6 °C pour une température de 10 °C et il s'abaisse plus tard à 2 °C pour une température de 3 °C. Entre ces deux mesures, l'humidité relative a augmenté, s'approchant de 100 %. A 5 h, la saturation de l'air à 2 m est atteinte et l'observation indique la présence de brouillard. 

 Température, point de rosée et vent mesurés lors d'une situation de brouillard en octobre (à partir des données Météo-France).

On note que le vent, sans être nul en moyenne, reste particulièrement faible (1-3 m/s ou 4-11 km/h). En fait, une faible turbulence nocturne est nécessaire. Si par contre le vent est trop fort, le brassage important empêche la formation du brouillard radiatif. Après le lever du jour, la température croît et le brouillard peut se dissiper par le bas. Le point de rosée augmente mais l'humidité relative diminue avec l'augmentation de température. De manière générale, la dissipation du brouillard dépend de sa densité et du réchauffement diurne. Un vent qui se lève peut accélérer le processus. Dans certains contextes, même si le brouillard au sol parvient tôt ou tard à se dissiper, une couche nuageuse stratiforme peut persister. 

Pour conclure, on peut regarder à nouveau deux exemples de sondage par situation de stratus ou de brouillard. La première figure montre le sondage de Larkhill (Angleterre) le 8 octobre en tout début de matinée. Sur une épaisseur d'environ 400 m au-dessus du sol, l'air est saturé sous une inversion, pouvant indiquer la présence de brouillard par ailleurs bien mélangé compte tenu du fait que la température pseudo-potentielle du thermomètre mouillé (theta-w) est constante. L'observation révèle la présence de nuages bas et de brume.

Sondage de Larkhill le 08/10/21 à 7 h.
Source : Météociel.

Le sondage ci-dessous est celui de Idar-Oberstein (Allemagne) où des bancs de brume et de brouillard ont été observés le 10 octobre au petit matin. L'air est sec en altitude, saturé près du sol, sur une épaisseur de quelques dizaines de mètres. Le vent est faible. L'inversion de température est très marquée suite au refroidissement nocturne. Vers 1300 m, on identifie le sommet de l'inversion synoptique.

Sondage de Idar-Oberstein le 10/10/21 à 6 h.
Source : Météociel.

Plus récente Plus ancienne